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www.univ-corse.fr au plaisir du geste une réflexion sur le design, par francine demichel (présidente de la fondation de l'université de corse) « faire du design ce n’est pas seulement penser pour faire , mais faire pour penser » stéphane vial l’art du design est à proprement parler révolutionnaire; il vise à changer notre environnement. il anticipe sur un espace public futur. son dessein est ambitieux: transformer le regard sur notre avenir. le monde est vécu comme un projet et non comme un simple « objet ». être designer c’est vouloir s’impliquer dans le processus politique collectif du peuple, c’est chercher à participer à un imaginaire commun de demain. bien sûr, le design n’échappe pas à la société de consommation ni à la contrainte du marché. les designers les plus audacieux n’hésitent pas à parler de «réinventer» le monde, de penser le design comme projet global social, voire comme «geste philosophique», souhaitant conférer à la pensée du design une véritable portée épistémologique. cet art est existentiel; mieux, existentialiste: l’existence y précède l’essence: chacun doit y imprimer sa marque afin de transformer la vie future, afin d’améliorer la qualité de nos affects . en attente de nos pensées futuristes, la société est à la recherche de la beauté. insidieusement , le design modifie notre environnement afin que nous finissions par penser en fonction de sa présence, à travers ses formes. alors que souvent l’artiste crée pour lui-même, sans se préoccuper de ses éventuels acheteurs ou spectateurs, le designer travaille pour les autres; il partage son talent et fait don de ses capacités artistiques qu’il s’impose de faire évaluer par le public des usagers. avec le design, l’artiste moderne franchit un pas considérable: il part d’une logique individuelle vers une logique collective. il retrouve la tradition de l’artisan, mais en la post-modernisant: l’artisan travaille pour le privé, alors que le designer travaille avant tout pour l’espace public, l’en commun. le design c’est une manière nouvelle d’être présent dans la ville, par ses formes élégantes et aériennes: ce qui est important c’est qu’elles aident à vivre autrement. stéphane vial fait remarquer que ces formes plastiques, matérielles refondent les formes sociales, les manières d’exister ensemble. a la différence d’autres formes artistiques, le design a une valeur d’usage, un « effet socio-plastique », susceptible de modeler la société . « si le design est avant tout une théorie de la forme, cette théorie de la forme est donc toujours en même temps une théorie de l’homme et de la société »( s. vial). il y a de l’optimisme et du progressisme derrière cette nouvelle création dite parfois des « arts appliqués ».il s’agit de rendre le monde industriel meilleur. on connaît les premiers grands noms autour du bauhaus : gropius, kandinsky, mies van der rohe… la fonction demeure, mais la forme s’impose . les tenants de cet art ont à cœur de démontrer que l’adaptation à une fonction industrielle n’est pas synonyme de laideur. sans doute, le capitalisme a-t-il su s’emparer des designers et les faire entrer dans le circuit de la consommation industrialisée et standardisée. sans doute, pour rendre un produit désirable donc consommable, faut-il que le designer reproduise des formes et des matières qui ne heurtent pas le regard et qui soient suffisamment fluides pour ne pas agresser l’acheteur .« less is more » fut le slogan du bauhaus. tous les designers s’emparent de la formule: il faut rendre simples les choses compliquées. au départ il y a certes une sorte de snobisme dans le design qui se voulait original, extravagant: les premiers meubles, les premières cuisines relevaient davantage du style que du confort et de la technicité. l’idée originaire est intéressante: pourquoi le produit industriel ne serait-il pas beau, avec des formes recherchées, raffinées? on appela cela les « arts décoratifs », l’« art nouveau » . cet art moderniste n’a pas honte d’afficher son parti pris industriel; l’industrie est son domaine. quelque part, le design se situe au-delà de la rentabilité et cherche à construire avant tout des villes plus habitables. au milieu de la contradiction entre un projet progressiste et artistique et un projet capitaliste, centré sur le produit industriel, le design occupe une position originale, ambivalente: comment faire de l’art sans faire de l’industrie, dans ce qu’elle comporte d’exploitation, vu du côté du capital, où la rentabilité prime tout. ainsi l’artiste a son mot à dire sur la ville, sur l’espace public. faire des bancs publics traversés par des tiges afin que personne ne puisse s’allonger dessus, c’est céder aveuglément aux lois de la police urbaine et du marché. mais un banc peut être aussi un lieu de conversation, d’échange amoureux, de sommeil pour un clochard. il ne s’agit pas pour le design d’ignorer le marché: celui-ci reste aujourd‘hui le moyen privilégié pour faire connaître son travail artistique, mais nul n’est tenu d’en faire un objectif, une fin, un but. le designer est avant tout un artiste, l’artiste-type de la société post-moderne, post-industrielle. a ce titre, il doit se dégager des impératifs de rentabilité, de compétitivité. . ce qui le rend légitime, ce n’est pas le prix du produit qu’il a façonné, c’est son art; le marché n’est qu’une réalité dont il doit tenir compte, mais c’est son art qui le motive. le designer est certes un expert, mais sans narcissisme, il doit créer non pour lui, pour satisfaire uniquement son propre désir, mais pour les autres, pour participer au service public. aménageant l’espace public, il se soumet au jugement du peuple urbain. certes, l’art ne résoudra pas seul les contradictions de la ville mais il peut y contribuer en imaginant des usages nouveaux à travers des formes nouvelles. nous vivons de plus en plus dans un univers « dessiné », mais le design industriel n’est pas présent partout du moins en france. nous avons la chance en corse, d’avoisiner l’italie, pays du design, et nous pourrions prendre exemple: c’est d’autant plus facile qu’un département de l’iut de l’université de corse délivre un diplôme de design et que le fab-lab de la fondation de l’université de corse accompagne cette initiative qu’il s’agirait de développer, marquant que si l’industrie n’a pas interrompu la continuité de l’innovation, la recherche universitaire sait, elle aussi, ne pas s’enfermer dans des schémas académiques traditionnels. l’artiste traditionnel vit dans le présent de sa création, le designer est dans le futur, il «pro-jette», littéralement, au sens où il jette devant nos yeux un idéal qui doit être mis en œuvre avec créativité, inventivité et expressivité. au-delà des gestes de travail, les designers sont porteurs d’un mode de représentations, de manières de penser et de vivre, avec une incontestable exaltation, un plaisir non dissimulé. le design invite à s’interroger sur les frontières entre la compétence technique et le savoir faire. le designer refuse de séparer le travail et l’art: il n’est pas d’habileté technique sans maîtrise esthétique - et inversement. en artiste, le designer fait de son œuvre son centre de gravité. il y a certes du bidouillage dans la fabrication du design, mais le bon geste technique reste indispensable. le design est un procédé deleuzien : il n’est pas, il devient. s.vial parle, lui, d’ « effet de design » : « le design, avant d’être un espace, est principalement un effet qui advient dans un espace, un produit ou un service. cela signifie que le design n’est pas un étant, mais un événement, non pas une chose, mais un retentissement, non pas une propriété mais une incidence » . le design a lieu, il se fait avant de se dire, il se produit, s’opère, s’acte, s’éclôt, se crée. ce n’est pas un concept logique, mais une opération phénoménologique. cet « effet d’expérience » (s.vial) se vit, s’éprouve, s’expérimente concrètement et immédiatement. le design ne ressemble pas à la construction hiérarchisée d’une cath